Maternité

   Depuis que les liens du mariage l'avaient unie à cet homme, depuis qu'elle lui avait donné tout d'elle-même, son cœur à son corps mêlé, elle attendait.
   Jour et nuit elle attendait et toujours la tache rouge éclose sur le linge blanc, l'étoile rayonnante la renvoyait au vide de son attente. Son corps réclamait obscurément ce vers quoi elle voulait aller... obscurément.
   Son corps uni à l'homme la trahissait. Lui, la désirait jour et nuit encore et encore, brutalement, violemment... elle était belle, le désir était grand.
   Elle, pensive, passive, s'ouvrait et se refermait, remâchant l'amer destin d'un amour sans fruit. Alors, elle se lassa et cria... de plus en plus crispée sur son désir inassouvi, chaque fois qu'une étoile s'éclairait rougeoyante dans l'ombre de sa culotte blanche.
   Enfin, vint un jour où le blanc resta blanc, lune après lune. Enfin vint un jour où son ventre s'arrondit.
   Puis passa toute une vie, de lunes en lunes recueillies, de milliers d'étoiles parsemées puis lavées dans l'eau noire des jours renouvelés. Passa toute une vie de femme blessée...
   Longtemps, longtemps après, quand le corps se défait, quand le regard s'inverse et la mémoire chavire, longtemps, longtemps après, quand le corps dérive et la parole enfin paraît, jusqu'alors tue, étouffée, amortie, elle prit dans sa main sa vie, sous les draps du lit toute entière tapie, c'est ce jour-là qu'elle transmit à sa fille son secret de femme, son bonheur à elle, le plus beau jour de sa vie : la lumineuse découverte, entre ses jambes repliées, du petit corps de son enfant premier né. Fulgurance des sens : une vie toute entière cueillie, recueillie dans la maternité première. Toute entière contenue dans l'enfant qui sortit d'elle, ivre de douleur et de heurts. Sa vie de femme, là, dépositaire de toute la puissance du monde, de tout le bonheur d'exister. Rencontre étincelante du lien de chair, auréolé de la lumière du monde.

Claude Capern