Elle joue

   Elle saute à la corde. Cercle protecteur de la corde. Les pieds sont légers, le bruit glisse, serpente sur le sol. Rapide, la corde file, s'élève, retombe. Surtout ne pas interrompre par maladresse le cercle magique. Volants de la jupe, jambes suspendues, bras en prolongement du cercle. Elle saute à la corde sur le trottoir étroit devant la maison. La route, comme une rivière, borde son univers. Rien en dehors de ce cercle, seule elle existe. Un appel insistant, répété, la sort de son rêve. La corde s'affaisse mollement sur le sol. La question surgit : où est maman ?
   Une silhouette se penche, des regards s'échangent. Celui de l'enfant implacable attend, l'autre noyé tremble. Un mot éclate au sol... Paradis... Ne pas en parler... Papa ne veut pas...
   La corde s'élève à nouveau, le cercle se reforme... Paradis, enfer, tu brûles, tu brûles, un pied en l'air, puis l'autre. Surtout ne pas tomber, le sol est un trou... le ciel est tout en haut... C'est là qu'elle est partie...       La corde s'élève et retombe. Elle est seule sur le trottoir.

Christiane Lambelin