C'était l'hiver. L'air était pur et vif et je revenais du travail dans ma 2 CV rouge. La nuit tombait tôt, la température descendait et la neige craquait sous le poids de la voiture. Je me disais souvent que j'avais bien fait de choisir un rouge vif pour ma voiture, car on finirait toujours par me trouver si je tombais en panne sous une tempête de neige.
Le dernier col à monter était le plus difficile. C'était cinquante mètres plus haut. Mon pied était à fond sur l'accélérateur. La peur que je n'aie pas assez de force pour grimper en haut montait de seconde en seconde. Ma détermination aussi ! J'ai décidé, comme on fait dans les grandes circonstances, que j'allais réussir, un point c'est tout ! Et je suis arrivée !
Et que vois-je, une fois en haut de ma montagne ? Une autre voiture, de l'autre côté, cinquante mètres plus bas, arrêtée, coincée dans la neige. Coïncidence insolite : tous les deux dans la même lutte sans le savoir.
Je descend doucement. L'autre conducteur, un vieux paysan, me fait signe. Je m'arrête et il me demande de l'aide. « Volontiers », je lui dis. Il me demande de conduire son break pendant qu'il poussera.
Je m'apprête à prendre le volant et ouvre la portière, puis je m'installe sur le siège du conducteur. Et c'est là que j'ai fait la connaissance de l'odeur la plus répugnante que je n'aie jamais respirée. Dire que ça m'a coupé le souffle serait un euphémisme. J'ai tourné la tête et je me suis retrouvée nez à nez avec le bouc que le vieux transportait de retour d'un saillie !
Malgré tout il me fallait respecter ma promesse de l'aider. J'ai pris le prétexte de lui demander quelque chose pour ressortir de la voiture aussitôt, juste pour prendre une grande bouffée d'air que j'ai gardée tout le long de la montée. L'enjeu devenait l'exploit de la durée de mon apnée pour ne pas avoir à inhaler de nouveau la puanteur du bouc ! Je suis arrivée au col en un temps record et j'ai littéralement sauté de la voiture en haut en claquant la porte derrière moi.
Le vieux paysan m'a rejointe avec une profusion de remerciements. Il voulait absolument m'inviter à venir chez lui boire un coup. « On prendra ma voiture dit-il et je vous ramènerai après.»
La seule idée de me remettre dans sa voiture m'étranglait déjà et vite j'ai dit que « mon mari » (je ne suis pas mariée !) s'inquiéterait certainement de mon retard à la maison.
Arrivée à la maison avec la satisfaction du devoir accompli, je suis accueillie avec la phrase suivante :
« Où étais-tu, tu sens le bouc ! »
Martha Kubecka